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Titel
Temps d'assistance. L'assistance publique en Suisse de la fin du XIXe siècle à nos jours.


Autor(en)
Tabin, Jean-Pierre; Frauenfelder Arnaud; Togni Carola; Keller Véréna
Reihe
Existences et société
Erschienen
Lausanne 2008: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
336 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von
Matthieu Leimgruber

Les polémiques récentes autour des «profiteurs sociaux» (Sozialschmarotzer) semblent à première vue paradoxales: comment des programmes d’aide aux plus démunis qui ne représentent qu’une part minime des dépenses sociales peuvent-ils provoquer autant de controverses? Comme le démontre avec brio cet ouvrage issu d’une recherche conjointe entre historien·ne·s et sociologues, les préoccupations qui accompagnent aujourd’hui la question, en grande partie fantasmée, des «abus» ne représente que la dernière péripétie de la longue trajectoire séculaire du «gouvernement des pauvres».

Afin d’exposer les lignes de force qui unissent les passés et le présent de l’assistance publique, les auteur·e·s explorent la «sociogenèse» des politiques d’assistance dans deux cantons romands (Vaud et Neuchâtel) entre 1880 et la fin du XXe siècle. La proximité géographique des terrains d’étude choisis est trompeuse. En effet, si c’est le principe traditionnel de l’assistance au lieu d’origine qui prime tout d’abord dans un canton de Vaud encore largement agraire, Neuchâtel choisit précocement l’assistance au lieu de domicile afin de répondre aux défis de l’industrialisation horlogère et des flux de population qui en résultent. Malgré ces points de départs divergents, l’ouvrage souligne ensuite l’uniformisation progressive des politiques cantonales. À la suite des crises économiques qui émaillent l’entre-deux-guerres, le canton de Vaud, à l’image d’autres cantons, adopte le principe de l’aide au domicile, puis, une douzaine d’années après Neuchâtel (1949), adhère en 1961 au concordat intercantonal réglant les modalités de l’assistance. La «nationalisation» de l’assistance se poursuit après l’adoption, en 1977, d’une première loi fédérale en la matière et culmine, en 1999, avec l’inscription dans la Constitution fédérale d’un droit à l’assistance basée non plus sur l’origine ou le domicile, mais bien sûr la notion de dignité humaine.

À chacune de ces étapes, la délimitation des groupes de personnes à aider, la nature et le montant des aides versées, ainsi que la désignation des autorités responsables de l’administration de l’assistance ont fait débat. En effet, comme le montrent les nombreuses sources (débats parlementaires, textes législatifs, etc.) récoltées avec soin par l’équipe de recherche, la définition des normes de la solidarité envers les plus démuni·e·s mobilise les esprits, en temps de crise comme en tant de prospérité. Après avoir été délestée d’une partie de ses terrains d’intervention par le développement de solutions assurantielles dans le domaine du chômage (dès les années 1920) ou des retraites (avec la fondation, en 1947, de l’AVS), l’assistance devient une simple «instance complémentaire» du système de protection sociale. Toutefois, il s’agit toujours d’une instance de proximité, puisque l’assistance publique, même régie par des principes édictés au niveau cantonal, puis fédéral, reste en large partie administrée au niveau local.

De plus, cette rationalisation progressive des normes de l’assistance ne signifie pas la fin des controverses à son sujet. Bien au contraire. La deuxième partie de l’ouvrage propose ainsi une analyse de la mise en oeuvre contemporaine de l’assistance au travers d’entretiens réalisés avec des destinataires de l’aide sociale, des responsables politiques et administratifs qui gèrent cette aide, ainsi que des assistants sociaux et des assistantes sociales. Ce corpus complète les parcours législatifs décrits ci-dessus en soulignant la permanence des efforts de définition des pauvres «méritants» et «déméritants» et des préoccupations liées aux raisons provoquant la situation d’assistance (délitement des liens familiaux, difficultés d’insertion des jeunes, processus d’exclusion du marché du travail, etc.). En donnant la parole aux destinataires de l’assistance, l’équipe de recherche révèle également la permanence des stigmates, de la honte et de la disqualification sociale ressentis par celles et ceux que le système d’assistance continue à vouloir aider et (ré)intégrer. L’assistance publique constitue, en effet, un dernier filet qui ne fait pas que retenir mais qui impose des contraintes parfois difficiles, voire contradictoires. Comment concilier les pratiques d’activation et les appels à l’autonomie des individus dans une société qui exclut et marginalise?

En combinant histoire et sociologie, cet ouvrage très riche et bien construit explore avec succès les espaces territoriaux, politiques et sémantiques à travers lesquels se meut l’assistance publique depuis plus d’un siècle. Trop souvent négligée et considérée comme un domaine marginal des politiques sociales, cette dernière est pourtant le lieu où se croisent des lignes de force fondamentales. En contribuant au déchiffrage de ces lignes de force, Jean-Pierre Tabin, Arnaud Frauenfelder, Carola Togni et Véréna Keller nous offrent des outils indispensables pour comprendre la solidarité à géométrie variable qui structure nos sociétés contemporaines.

Citation:
Matthieu Leimgruber: compte rendu de: Jean-Pierre Tabin, Arnaud Frauenfelder, Carola Togni, Véréna Keller, Temps d'assistance. L'assistance publique en Suisse de la fin du XIXe siècle à nos jours, Lausanne: Éd. Antipodes, 2008, 336 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 117, 2009, p.288-289.

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Veröffentlicht am
30.03.2010
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